Un Bruit Qui Court

36 pages de plans et de foulées alertes.
Entièrement sérigraphiées chez LEAP, 300 exemplaires

textes et dessins: Alexandre Doucin
dessin additionnels: éléonore Morand
les éditions à peu près - LEAP

le plan.
Quelle histoire peut donc avoir lieu dans un bâtiment démesurément long ?
Une architecture linéaire, ressemblant à une sorte de musée du Louvre déplié, est le cadre d'une improbable course d'endurance, où se croisent les athlètes, les visiteurs et les œuvres d'art.
La course fait irruption dans le lieu consacré à la visite.
Les œuvres d'art
Les œuvres conservées dans cet étrange bâtiment sont des objets puissants et envoûtants. Ils séduisent des milliers de personnes, en les attirant dans un en face à face mystérieux. Ainsi de nombreux regardeurs anonymes rendent visite à ces objets fameux. Ils ont la réputation de transformer les hommes. Par leur intermédiaire, le regard du visiteur sur le monde aura changé. Il sera transcendé.
Les œuvres sont là, exposées à la lumière, livrées à la contemplation. Elles enjoignent le regardeur de les interroger. Il ne comprend pas ce qu'elles semblent vouloir dire. Pourtant, elles lui imposent leur examen. Alors, Face à leur mutisme et leur opacité, il exécute un rituel, une cérémonie du regard et de l'inclinaison.
Ces objets sont forts. Le regardeur se tient face à eux à distance
Ces objets sont puissants. Il s'approche, s'éloigne, se penche pour observer un détail, se relève. Il oriente la tête vers différentes zones de l'objet.
Ces objets nous poussent à agir. Son regard et sa conscience doivent réaliser de constants allers-retours entre la surface de l'objet et le champ virtuel de sa signification.
Ces objets nous séduisent. Il Plisse les yeux plusieurs fois, pour mieux les sonder. Il aiguise son regard pour mieux les percer.
Ces objets nous possèdent. Il répète son décryptage chorégraphié, pour toucher le mystère enfouit en eux. Les pas qu'il exécute vont le changer. La danse répétée devant chaque œuvre l'achemine hors de lui-même. Ce rituel doit le conduire vers l'extase.
La course
Le coureur, ignorant la puissance de cet envoûtement, s'engouffre dans le bâtiment. Il est animé par le désir de victoire. On dit que celle-ci promet à celui qui l'emporte la vie éternelle. Elle transformera l'être mortel en héros légendaire.
Le coureur est séduit par ce récit. Il est habité par l'esthétique du drame sportif. Il est gagné par la monstrueuse beauté des images de la course.
Il se rappelle la chair, les muscles, les larmes, la sueur, la déformation du corps, les cris, les émotions, les blessures, et leurs stigmates. L'effort est douloureux. Le sport est l'épreuve de la souffrance. La course est un supplice surhumain. La représentation du sport actualise les images religieuses de la passion. La croyance qui sous-tend cet imaginaire est que la beauté transcende la douleur, et que la victoire sublime la passion. Elle aboutit à l'idée que la souffrance embellit la course.
Le coureur a conscience de créer un spectacle esthétisant. Il veut être artisan de cette beauté.
Ainsi, Il construit sa course comme on façonne un chef d’œuvre. Selon lui, le trajet fait œuvre. Il faut passer aux bons endroits aux bons moments, accomplir des gestes efficaces et élégants, savoir où accélérer et où ralentir. Il faut du talent pour se déplacer avec justesse.
Il a également conscience d'être le centre des regards.
Jouant de la vitesse, de l'amplitude et de la grâce de sa foulée, sa virtuosité illumine la course douloureuse.
La foule en transe porte l'aspirant héros vers la victoire.
À chaque pas, il est un peu plus fabuleux.
À chaque cris, il est un peu plus une légende.
C'est son nom qu'autour de lui on hurle.
Il devient la rumeur des encouragements.
Il devient irréel.
Il est une icône.
Alors, le coureur éprouve le vertige d'être à la fois l'artiste et l’œuvre, l'artisan et l'objet de la beauté.
C'est son extase.

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